Le souverainisme nostalgique, une illusion aujourd’hui pour l’Europe

Europe

Devant le chaos mondialiste provoqué par le Système et face aux errements de l’Europe de Bruxelles, de nombreux Européens sont séduits par la tentation du repli. Une tentation qui prend politiquement la forme du souverainisme nostalgique ou du régionalisme de sécession. Pour Ligne droite, il s’agit dans les deux cas d’une mortelle illusion, car aujourd’hui, les nations et a fortiori les régions, si elles restent seules, n’ont plus la puissance nécessaire pour faire face aux grands États du monde multipolaire.

La montée du souverainisme nostalgique et du régionalisme de sécession

Pourtant, après le choix britannique du Brexit, le souverainisme nostalgique a gagné en crédibilité. Se présentant comme la réponse aux insuffisances de l‘Europe de Bruxelles, il préconise le retour à la souveraineté économique, monétaire et politique de chacune de nos vieilles nations européennes et prétend qu’elles seront mieux placées seules pour affronter le monde concurrentiel et globalisé d’aujourd’hui.

Quant au régionalisme de sécession, qui est un souverainisme encore plus restreint puisqu’il se situe le plus souvent à un niveau infranational, il connaît un regain de popularité, en Catalogne notamment. Jouant sur un besoin d’enracinement particulièrement développé dans les régions à forte tradition historique, il flatte aussi l’égoïsme fiscal de certaines catégories de la population qui, rejetant la solidarité nationale, refusent de payer pour des régions moins développées.

Un retour en arrière utopique et dangereux

Si les critiques émises contre l’Europe de Bruxelles sont fondées et s’il est naturel de vouloir préserver son identité, le souverainisme n’a cependant aucun sens au XXIe siècle dans une nation comme la France, pas plus d’ailleurs que dans les autres pays européens. Vouloir en effet remonter le temps pour retrouver l’Europe des années cinquante, voire les provinces de l’Ancien Régime, est une entreprise utopique sans aucun fondement.

Cette démarche fait en effet l’impasse sur le bouleversement des rapports de force intervenu à l’échelle du monde depuis la fin du XXe siècle. En 1945, l’Europe était plus peuplée que l’Afrique, alors qu’en 2100, le continent africain représentera à lui seul 40% de la population mondiale d’après l’ONU. Quant à l’Europe, elle est le seul continent qui verra sa population se réduire et, avec elle, celle de ses composantes nationales et régionales.

Dans ce contexte, le repli sur la nation et pis encore sur la région, en admettant qu’il soit institutionnellement et pacifiquement possible, ne garantirait nullement la prospérité promise par les souverainistes. Ni a fortiori la sécurité.

Le refus d’assumer le monde tel qu’il est devenu

La vogue actuelle du souverainisme, qu’il soit national ou régionaliste, peut s’analyser en réalité comme le refus obstiné de voir le monde tel qu’il est. Il cache donc un aveuglement volontaire à l’égard du déclin hélas spectaculaire de la puissance européenne. Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, l’Europe et l’Amérique dominaient en effet le monde par la puissance de leur économie, leur suprématie scientifique et militaire et par leur démographie. Mais ce monde-là est bel et bien révolu. Le centre de gravité de la puissance mondiale est en train de quitter l’Europe pour l’Asie et le Pacifique. Quant au vieux continent, il ne domine plus le monde. Il se trouve au contraire dans la situation d’être supplanté par le reste du monde. L’Europe, dans son état de faiblesse actuel, est en effet dominée économiquement par l’Asie devenue l’usine et le centre de recherches de la planète. Elle est dominée culturellement par une Amérique de plus en plus multiculturelle. Elle est dominée aussi démographiquement par l’Afrique et moralement par l’islam qui s’est réveillé de sa torpeur séculaire.

Comment croire sérieusement, dans un tel contexte, que le salut européen pourrait venir du repli sur nos petites nations ou sur nos régions encore plus restreintes ? Des entités au surplus incapables d’assurer leur autosuffisance économique, énergétique et militaire.

La puissance est désormais continentale et civilisationnelle

Nous vivons désormais dans un monde multipolaire, une réalité que les États-Unis ont du mal à accepter et que les souverainistes européens ne comprennent pas. Pourtant, de grandes nations qui sont aussi de grandes civilisations, rassemblant chacune des centaines de millions voire des milliards d’hommes sur de vastes continents, entrent aujourd’hui en concurrence les unes avec les autres, en particulier pour l’accès à des ressources naturelles de plus en plus rares. Dans un tel monde, la mesure de la puissance devient continentale et civilisationnelle et ne peut donc plus rester étroitement nationale.

Dans ce contexte, le souverainisme est donc une maladie pernicieuse qui ne peut qu’entraîner les Européens dans la mauvaise direction. Car la souveraineté sans la puissance n’a pas plus de réalité qu’un droit sans la force pour le faire respecter. On n’est pas « souverain » lorsqu’on ne pèse rien : on n’existe tout simplement pas et l’on ne peut alors que se soumettre aux autres.

Créer un pôle de puissance pour redevenir souverain

La seule voie à suivre pour redevenir souverain consiste dès lors à reconstituer un pôle de puissance suffisant pour pouvoir s’imposer à nouveau dans le monde. Les Européens, qui représentent déjà une part déclinante de la population mondiale, ne peuvent donc pas affronter le monde multipolaire en ordre dispersé. Ils doivent au contraire faire bloc. Faire bloc économiquement, monétairement, mais aussi culturellement et militairement. C’est leur seule chance de ne pas disparaître en tant que civilisation. Et c’est aussi la seule possibilité qu’ils aient de retrouver collectivement leur souveraineté, la vraie souveraineté, celle qui permet de choisir son destin.

C’est pourquoi Ligne droite rejette l’utopie souverainiste qui détourne les Européens de leur destin, celui de créer une Europe puissance pour peser dans le monde qui vient.

13 janvier 2018

Crédit photo : Jürgen via Flickr cc